LA DÉFIANCE PLUTÔT QUE LA CONFIANCE ?

Pour sauver du temps, quoi de plus anodin pour certains que de tourner à gauche alors que c’est interdit ou de prendre un sens unique à l’envers ? Le germe de la défiance se note pourtant dans ces petits gestes quotidiens.

La défiance c’est aussi raccrocher au nez d’un premier ministre, alors que l’on porte un deuil aussi douloureux qu’injuste, celui de la mort d’êtres aimés assassinés dans un attentat. On peut être en désaccord avec les propos du chef de l’État, les trouver insipides, il n’empêche que l’impolitesse du geste, relayé par les médias, traduit crûment à quel point la confiance sociale est mal en point et que la défiance se porte bien.

La confiance est le liant entre les gens ; je viens vers toi, car tu m’inspires confiance. Collectivement, la confiance est le ciment entre les citoyens et les rouages de la société : gouvernements, monde des affaires, développements technologiques et scientifiques, les médias, les arts et la culture. Sans la confiance, il ne peut y avoir de vivre ensemble, réellement ensemble.

En l’absence de confiance, on devient méfiant. La méfiance entraîne un repli sur soi, elle nous « met en garde contre quelque chose », sans que l’on sache toujours très bien quelle est cette chose.

Quand la méfiance nous amène à nous méfier de tout, c’est qu’elle glisse vers la défiance, vers une suspicion généralisée du type : le gouvernement nous cache assurément des choses  ou encore le milieu des affaires veut à coup sûr s’enrichir à notre détriment. On se méfie aussi des médias traditionnels qui ne publient que ce qui leur rapporte des clics et des cotes d’écoute en nous cachant les vraies affaires.

La défiance, c’est la méfiance provocante, notamment celle de l’auto-justice dans les médias sociaux ; cette auto-justice, banalisée, tels des commentaires publiés en ligne pour exprimer son insatisfaction :  Tout le monde doit le savoir que leur service est pourri ! Il y a aussi l’auto-justice du droit immédiat à réparation qui use de la dénonciation en ligne, images et témoignages à l’appui. Considérée plus rapide et efficace qu’une plainte formelle auprès des policiers et d’éventuelles procédures judiciaires, cet acte de défiance omet pourtant l’essence même de la justice : l’art de peser le pour et le contre, d’évaluer les circonstances, d’éviter les préjudices en cherchant le Juste. Au contraire l’auto-justice portée par la foule des médias sociaux est rapide, exécutive, aux conséquences indélébiles, sans appel et sans égards. Il y a un nom pour ce type de justice, même si le mot ne plaît pas, c’est le lynchage.

Mettre sa confiance dans des gestes de défiance n’est pas sans risques. À la longue, cela devient même invivable.

Le mélange de banalisation et de valorisation qui l’accompagne fait oublier la nature asociale de la défiance : Je me sers moi, sans égards aux conséquences sur les autres. La défiance, c’est aussi le risque d’instiguer une culture du non respect en confondant la critique et l’insolence : critiquer un chef d’État est sain pour la démocratie, l’envoyer paître est de l’arrogance, sans substance médiatique malgré les apparences. Enfin, la défiance fragilise notre capacité à tisser des liens de confiance. Cette confiance qui est, répétons-le, fondamentale à la vie en société. Sans elle, je suis seul.e.

La confiance est un pari. Celui de s’appuyer sur les autres. Celui d’être avec les autres. Osons avoir confiance. Faire confiance. Être en confiance.

Avoir confiance, c’est oser vivre en société.

Ce texte a initialement été publié le 24 janvier 2016.

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