Expertise citoyenne : entre opinion et expertise (ou la candeur participative)

Ville de Québec, ©Sophie Hamel-Dufour
Ville de Québec, ©Sophie Hamel-Dufour

Cette analyse a été publiée dans le quotidien Le Soleil

 

Jusqu’où peut aller la participation citoyenne sans nuire à la qualité de la prise de décision ?

 

La présente consultation de la Ville de Québec sur la sécurité routière par l’entremise d’un questionnaire en ligne nous offre l’opportunité de nous pencher sur la question.

 

L’esprit de la démocratie participative repose sur la prémisse que le citoyen possède une connaissance que l’expert (ingénieur, architecte, biologiste, etc,), n’a pas et que cette connaissance citoyenne y apporte une nécessaire complémentarité. Nous souscrivons pleinement à cette idée de complémentarité.

 

Le lexique de la démocratie participative qualifie d’ailleurs ces connaissances de « savoir expert citoyen ». Vrai qu’en matière d’aménagement et de développement du territoire, le citoyen a une fine connaissance de son environnement ; il est aux premières loges pour témoigner des changements survenus et des améliorations qui pourraient y être apportées. Les connaissances sont essentielles pour qui veut prendre une décision éclairée. Cependant, s’agit-il d’expertise, d’opinions ou d’intérêts ? Il faut prendre garde de ne pas les confondre.

 

Tout fin connaisseur de son milieu de vie soit-il, le citoyen n’est (sauf exception) ni spécialiste de la circulation routière, ni urbaniste, ni concepteur d’infrastructures. Pourtant, dans le cas qui nous intéresse, la Ville n’hésite pas à demander à ses citoyens d’identifier les aménagements qui résolvent le mieux les problématiques de sécurité routière.

 

Malgré un effort louable de vulgarisation, avec images à l’appui, que pourront répondre les citoyens? De bonne foi, ils ne pourront que donner leurs opinions, leurs impressions. Ils puiseront assurément dans leurs expériences, dans leurs observations, mais cela demeurera une opinion.

 

À toute fin pratique, la Ville demande une opinion qu’elle traitera en expertise.

 

Les opinions comportent un gros défaut : celui d’offrir un regard partiel et partial sur une situation donnée.

Partiel, car le citoyen ne peut parler qu’à partir du regard qu’il porte sur son environnement. Ses valeurs, ses préférences, son vécu, ses perceptions du risque sont tous matière à influencer ses choix en terme de sécurité routière.

 

Partial car, la probabilité est grande que les avis exprimés défendent des enjeux qui sont chers aux citoyens et dans lesquels ils ont un intérêt direct, par exemple, sécurité des enfants, voies cyclables, fluidité de la circulation.

 

La compilation des réponses éliminera-t-elle ces biais ? Malheureusement, la compilation des intérêts particuliers ne garantit pas l’obtention d’une vision d’ensemble du Bien commun. De plus, les préférences, les impressions, les opinions n’excluent pas les erreurs de jugement : compiler une erreur ne fait que la perpétuer, sans la corriger.

 

Jusqu’où peut aller la participation citoyenne sans nuire à la qualité de la prise de décision par la Ville ?

 

Choisir un aménagement collectif va au-delà de la perception qu’un aménagement est mieux, semble mieux, ou serait mieux. Choisir un aménagement collectif comporte une part importante de connaissances techniques que ne possède pas la plupart des citoyens. Leur demander de choisir, les place dans une position délicate. Leur demander de choisir est faire preuve de candeur participative : Le citoyen expert n’est pas expert en tout, même lorsque cela concerne son environnement. Il n’est l’expert que de son opinion et de son intérêt.

 

Confondre expertise et opinion est imprudent. La Ville fragilise alors inutilement son assise décisionnelle.

 

 

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