Un développement durable en manque d'éthique

Crédit photo : Sophie Hamel-Dufour
Crédit photo : Sophie Hamel-Dufour

 

Nous y revoilà.

Le développement durable sert à nouveau de caution morale, cette fois à la décision du gouvernement du Québec de relancer l’économie en mode accéléré. En bref, le projet de loi 61 (PL-61) prévoit modifier les mécanismes d’expropriation et limiter les possibilités de contestation; il ratatine la protection environnementale; il annonce un bilan annuel des projets que sous l’angle économique (exit le social et l’environnement); il rend malléable les conditions d’octroi de contrats; enfin, il instaure une immunité de poursuite judiciaire. Avec aplomb, le ministre de l’Environnement a néanmoins soutenu que les 202 projets visés par le PL-61 sont conformes au développement durable.

Déjà que la réputation du développement durable souffre d’inconstance, de mollesse et d’insipidité, le triturer une fois de plus ne pourra qu’ajouter au cynisme. Pareilles contorsions nous amènent à faire trois constats sur l’état de santé du développement durable au gouvernement du Québec : un oubli, un vice et un glissement. 

Premier constat, un oubli. Le développement durable javellisé à répétition fait oublier que son fondement repose sur l’éthique, c’est-à-dire cet « Art de bien vivre ensemble », comme le dit l’éthicien René Villemure. Dans la pratique, le développement durable et le Bien vivre ensemble impliquent de faire des choix. En matière d’éthique, ce sont les valeurs qui servent à guider les choix. En temps de crise, afin d’éviter les fautes éthiques, il s’avère impératif d’identifier quelles sont ces valeurs. Si le gouvernement assure que la relance économique répond aux exigences du développement durable, la relance devrait donc s’appuyer sans équivoque sur la valeur d’équité qui est au cœur même du développement durable. 

L’équité permet d’arbitrer avec justesse entre des intérêts en présence. Autrement dit, chacun des 202 projets visés par le projet de loi 61 devrait bénéficier d’une évaluation fondée sur l’équité afin de déterminer la juste part des avantages et des inconvénients pour le social, l’environnement et l’économie. Exercice de finesse s’il en est un, exigeant temps, réflexion, débat. On voit mal comment l’atteinte de cette nécessaire équité se conjuguera avec la précipitation et les raccourcis prônés dans le PL-61. La faveur affichée pour l’économie risque de se faire au détriment du social et de l’environnement, ce qui ne saurait être qu’un faux-semblant de développement durable. 

Second constat, un vice. La mission première du gouvernement est de veiller au Bien commun. Pour véritablement mettre en œuvre le développement durable, encore faudrait-il que l’appareil administratif se guérisse d’un vice pernicieux. La culture pangouvernementale de la compétition entre ministères mine de l’intérieur la capacité du gouvernement à pleinement agir pour le Bien commun. Chaque ministère ayant sa mission propre, les fonctionnaires, en toute bonne foi, en viennent trop souvent à défendre celle-ci en perdant de vue qu’ils font partie d’un grand ensemble qui s’appelle l’État.

Pourtant, faut-il le rappeler, tous les ministères sont assujettis à la Loi sur le développement durable. Telle que conçue, cette loi s’articule autour de 16 principes[1]  qui offrent, à qui s’en donne la peine, un regard de 360 degrés sur n’importe quel projet, politique ou programme. En matière d’éthique, le regard 360 est essentiel afin de ne laisser dans l’ombre aucun angle mort. Sans ce regard 360, il s’avère tout aussi illusoire de tenter de faire briller une relance économique du vernis du développement durable. Sans ce regard 360, la relance économique durable ne sera qu’un apparat de plus. 

Troisième constat, un glissement. Voilà près de deux décennies que le gouvernement emprunte à l’entreprise son lexique tel que l’efficacité, la courtoisie, le plan stratégique. Par ce lexique anesthésiant, au fil du temps, un glissement s’est opéré : le citoyen est devenu un client. Sous une apparence d’un dada linguistique moderne, se camoufle en fait dans ce glissement la nature même de notre rapport à l’État. Le citoyen devenu client n’est plus en relation, mais en transaction avec son gouvernement. La relation demande du temps, s’installe dans le temps. La transaction, elle, est éphémère et sans âme. Son but ? La satisfaction du client. Osons la question : au gouvernement, en matière de développement durable, peut-on s’en remettre qu’aux transactions pour bâtir l’avenir de la société? Pour la relance économique, l’approche clientéliste fera-t-elle primer la satisfaction du client sur le Bien-être collectif? Quelles valeurs guideront réellement les choix et les préférences dans les transactions ?

Force est de constater que le cumul de l’oubli de l’équité, du vice de la compétition entre les ministères et du glissement linguistique font en sorte que le développement durable dont nous parle le gouvernement n’est plus que fiction. Plutôt que de tenter de leurrer un fois de plus les citoyens, le gouvernement devrait prendre acte que le tout à l’économie, sans réelles considérations éthiques pour le social et l’environnement, nous a mené droit dans la crise actuelle et que refaire la même chose s’apparente à mettre la société sous respirateur artificiel. 

Il ne s’agit pas de passer qu’à travers la présente crise, il faut impérativement éviter la prochaine. Là se situe le courage politique. 

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