La Covid, le Québec et le Rwanda : dépasser le réflexe de tribu

Crédit photo : Marie-Noëlle DeVito
Crédit photo : Marie-Noëlle DeVito

On dit souvent l’humain solidaire. Mais solidaire avec qui? 

Devant les tragédies, par exemple un écrasement d’avion, un attentat ou encore un ouragan, chaque nation indiquera si de ses ressortissants sont parmi les victimes. Un genre de réflexe de tribu qui, malgré toute l’empathie du cœur, nous fait sentir plus proche de ceux avec qui le lien de proximité est plus étroit. 

À l’inverse, de grandes tragédies comme les guerres, les famines qui se déroulent en des terres lointaines offrent rarement ce lien de proximité. Au mieux, s’indigne-t-on passivement devant nos écrans face la récurrence des morts et des déplacés. 

Le virus de la Covid-19 a soudainement fait basculer le monde entier dans une proximité événementielle : en cascade, un à la suite des autres, les pays ont été touchés par des mesures de confinement. De l’Asie, à l’Europe, aux Amériques, en passant par le Moyen-Orient, l’Océanie et l’Afrique, l’humanité s’est retrouvée coupée de ses liens immédiats, de sa vie quotidienne … abruptement, les uns après les autres, nous vivions dans notre chaire les affres de l’isolement social.

Dans cette cascade, le Québec a précédé le Rwanda dans la mise en pause de la société. 

Au moment où se déroule l’histoire qui suit, la crise était relativement sous contrôle au Québec, le soutien était au rendez-vous ; malgré le confinement et l’arrêt brutal des activités économiques, les différents paliers de gouvernement tentèrent de ne laisser personne en détresse. Nous baignions dans un sentiment de confiance que « Tout allait bien aller », même s’il y avait un dur moment à passer.

Au Rwanda, l’annonce du confinement eut de toutes autres répercussions. Dans le village de Gisenyi où habite mon amie Marie-Noëlle depuis 8 ans, bien des gens gagnent au jour le jour de quoi se nourrir. Lorsqu’ils sont employés, les salaires sont versés en une seule fois, à la fin du mois. Pour les habitants de ce village frontalier du Congo, le confinement a donc rapidement rimé avec insécurité alimentaire. 

Que faire?

Sans trop d’attentes, Marie-Noëlle et moi avons lancé une modeste campagne de financement pour des « Sacs solidaires » par l’entremise de nos réseaux sociaux afin de fournir des denrées essentielles aux familles de Gisenyi. 

Quiconque a fait des levées de fonds pour une cause sait que le succès est inégal, et parmi les facteurs de succès, l’émotion qui lie le donateur à la cause est cruciale. Autrement dit, nous sommes davantage portés à donner pour une cause où parenté et ami.e.s sont directement touchés qu’une cause concernant des inconnus au bout du monde. Ainsi, le don ne fait pas exception : le réflexe de tribu y est aussi à l’œuvre. 

La campagne de financement des sacs solidaires a pourtant connu un succès surprenant alors que plus de 4,000$ canadiens ont été amassés en très peu de jours.

Que s’est-il donc passé pour que s’embrouille le réflexe de la tribu faisant en sorte que tant de Québécois donnent spontanément pour des Rwandais anonymes? 

Osons l’hypothèse de l’effet de proximité

La proximité, du latin proximitas, nous renvoie au voisinage, à ceux qui, sans faire partie de la famille, sont au plus près de nous. Mais comment être près en étant à 11 000 kilomètres de distance? 

Impossible de ne pas considérer ce que nous pourrions appeler la proximité de cœur qui nous ramène invariablement à l’effet de tribu, car les donateurs connaissaient Marie-Noëlle, ou me connaissaient. Je crois toutefois qu’à lui seul, l’effet de tribu n’aurait pas suscité un tel élan de solidarité. 

Il aura fallu un virus et ses profondes meurtrissures dans la vie sociale pour que se déclenchent trois autres ressorts de la proximité. 

La proximité dans l’épreuve. L’occident est habituellement relativement épargné par les grandes catastrophes humanitaires. Avec la Covid-19, ses populations subir AVANT l’Afrique les tourments du confinement, sans compter les dizaines de milliers de décès. La Covid et le confinement ont soudainement ratatiné la distance entre le Québec et le Rwanda : plutôt qu’être chacun de notre côté Nord-Américains et des Africains, nous nous retrouvions unis par notre vulnérabilité humaine face à un danger invisible et inconnu.

La proximité par l’action. Aux premiers temps de la pandémie, confinés que nous étions, le sentiment d’impuissance habitaient plusieurs personnes. C’était bien beau de se faire dire par les autorités gouvernementales que « Rester chez-soi était la meilleure façon de contribuer à l’effort collectif », l’inaction amplifiait la sensation de coupure sociale. Contribuer à une cause pourrait avoir insufflé un sens accru, tangible, à cet effort collectif, mondial. 

La proximité par procuration. La coopération internationale souffre souvent de la présence des intermédiaires, nécessaires mais parfois gourmands, qui font que tous les dons recueillis ne sont pas versés en intégralité à la cause choisie. Plus encore, ces intermédiaires créent une distance entre le donateur et le bénéficiaire, tout le contraire d’un effet de proximité. En étant présente sur place, Marie-Noëlle a pu elle-même acheter les denrées et, avec le chef du village, en coordonner la distribution aux familles ayant les plus grands besoins. En étant présente sur place, Marie-Noëlle nous rapprochait immanquablement des 55 familles (environ 200 personnes) qui ont reçu en avril, puis en mai, les Sacs solidaires.

Souhaitons que ce trait d’union forgé par l’effet de proximité entre Amérique et Afrique saura influencer la suite de notre nouvelle vie avec la Covid-19. 

Souhaitons que la Covid-19 saura faire réellement dévier le réflexe de tribu vers l’Autre. 

PARTAGEZ

Retour à la liste des Billets sociologiques


SocioZone©, entreprise spécialisée en sociologie stratégique, propose des services de mesure de l’Empreinte sociale et de Développement participatif. 

 

L’Empreinte sociale est la mesure de ce qu’une organisation inscrit dans la société par son image et ses actions.