DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE : tendances, moments choisis et nouveauté

François P. Robert de l'UQAM et Élise Naud de l'OCPM. Démonstration d'un atelier créatif - Carte et maquette de l'OCPM à la 17e Conférence de l'OIDP
François P. Robert de l'UQAM et Élise Naud de l'OCPM. Démonstration d'un atelier créatif - Carte et maquette de l'OCPM à la 17e Conférence de l'OIDP

SocioZone a assisté à la 17e Conférence de l’Observatoire internationale de la démocratie participative (OIDP) dont le thème était Participation sans exclusion.

 

Tenu à Montréal du 16 au 19 juin 2017, l’événement quadrilingue (français, anglais, espagnol et portugais) a réuni environ une centaine de conférencie.r.e.s et panelistes venus d’Afrique, d’Asie, d’Europe et des trois Amériques.

 

Nos observations portent moins sur les études de cas présentées, certaines fort intéressantes (Nouvelle-Orléans, Mozambique, région de Barcelone pour n’en nommer que quelques-uns), mais plutôt sur des éléments structurants de la démocratie participative.

 

Nous retenons trois tendances, deux moments choisis et une nouveauté.

 

TENDANCES

 

Trop de comment, pas assez de pourquoi ni de quoi

 

Nous sommes dans une époque du comment. Celles des règles de l’art, des bonnes pratiques. Celle des listes de contrôle. Comment on l’a fait et l’avons-nous bien fait ?

 

La démocratie participative n’y échappe pas.

 

Le revers de cette tendance forte est de – trop souvent – laisser de côté le pourquoi et le quoi de la participation.

 

Malheureusement, OIDP 2017 non plus n’y a pas échappé.

 

Est-ce par anticipation d’un manque de légitimité ou la crainte de ne pas avoir été exemplaire, mais force est de constater que plusieurs présentations détaillaient abondamment les principes, les façons de faire, bref, la méthodologie utilisée pour susciter la participation. Tant et si bien que, arrivant au bout du temps alloué, on en avait peu appris sur le projet lui-même et ses résultats. C’est dommage.

 

D’autant que la variété des contextes culturels offrait l’intérêt d’en apprendre par-delà les bonnes pratiques étoffées depuis des décennies, pratiquées, connues, partagées. N’hésitons pas à passer à la substance.

 

Pédagogie participative

 

Participer à la vie démocratique n’est ni inné, ni spontané

Laurence Monnoyer-Smith

 

Si la qualité d’une démarche participative repose en partie sur sa méthodologie, elle tient également à la capacité des parties prenantes d’y contribuer. Lors de la Conférence, il a abondamment été question de pédagogie participative.

 

Un exemple du besoin de pédagogie participative : La table ronde intitulée Comment assurer des processus inclusifs ? discutait des budgets participatifs*. Pour les panelistes, il est apparu essentiel d’expliquer aux citoyens comment on planifie et gère un budget, qu’est-ce qui peut y être inclus ainsi que le cadre réglementaire auquel il est assujetti. Avant même de parler de participation.

 

Ainsi, la pédagogie participative doit identifier les préalables à la participation, en plus d’inclure les attendus comme :

 

  • Connaître et comprendre les rôles et pouvoirs de chacun (citoyens, experts, élus, promoteurs, etc.);
  • Connaître et comprendre ce que l’on peut faire, ce que l’on ne peut pas faire dans un processus;
  • Connaître et comprendre les résultats qu’il est raisonnable d’attendre – ou pas – d’une démarche participative.

 

Une évidence, en apparence. À l’évidence, un besoin bien réel.

 

* Les budgets participatifs sont des budgets dont l’attribution est décidée par des citoyens.

 

Démocratie ludique

 

Maquettes, dessins, jeux de rôle. La démocratie participative n’échappe pas à l’ambiance ludique du temps. En effet, images et jeux sont devenus une voie officielle d’expression des avis et des opinions.

 

Dans une perspective inclusive, ces approches sont fort louables en permettant à une plus grande variété d’acteurs sociaux de s’exprimer. Mais elles ne sont pas sans embûches.

 

Premièrement, la facilité apparente du recours aux images ne doit pas faire oublier leurs limites. Une image étant sujette à interprétation, elle ne peut être considérée comme la traduction claire et complète d’une idée. Les bonhommes sourire, les pouces levés ou baissés ne sauraient remplacer entièrement ce que précise les mots. Comme le disait Félix Leclerc, « Le mot juste, c’est comme une allumette. Ce n’est pas grand-chose, mais quand tu en as besoin … ».

 

Deuxième embûche potentielle, la crédibilité. Lors de la table ronde Cadre et mécanismes légaux en soutien à la participation, il a été souligné – à juste titre – que le défi, pour les experts et les élus, est de considérer ces moyens d’expression tout aussi légitimes qu’un plaidoyer conventionnel, écrit ou oral.

 

MOMENTS CHOISIS

 

Participation publique : de quoi parle-t-on ?

 

Nous avons souvent écrit sur l’importance de bien nommer les choses afin d’assurer clarté et précision tant dans la discussion que la prise décision. Dans un champ de pratique et de recherche comme celui de la démocratie participative, il arrive que l’on prenne pour acquis certaines expressions sans se (re)questionner sur leur sens et leur portée.

 

Lors de la table ronde sur La professionnalisation de la participation publique, Michel Venne, ancien directeur-fondateur de l’Institut du Nouveau Monde (INM) a soulevé la question du sens de l’expression participation publique. Il distingue trois types de participation citoyenne :

 

  • La participation électorale;
  • La participation sociale (engagement, militantisme, bénévolat);
  • La participation publique (liée à la prise de décision publique).

 

À son avis, pour pouvoir être qualifié de participation publique, un processus doit impérativement être lié à une prise de décision par une instance gouvernementale. Dans cette perspective, l’expression participation publique ne pourrait être utilisée pour parler de la médiation et des relations avec les communautés puisque ces processus ne mènent ni à une décision publique, ni à une décision politique.

 

Utile ou futile questionnement? En posant la question, M. Venne nous amène à nous demander si nous n’avons pas, pendant tout ce temps, mal nommé ce dont nous voulions parler. Et si l’on nomme mal la participation publique, crée-t-on des attentes vaines ?

 

Néanmoins, il est fort à parier que le lexique courant de la démocratie participative continuera à parler de participation publique de manière générale et englobante.

 

Passer à l’action … dans le plaisir

 

Habituellement, lorsque l’on pense à la démocratie participative, on voit des groupes de gens qui discutent, commentent, questionnent et donnent leur avis sur des projets divers. Nous sommes alors dans le dialogue. Dans le « Quoi faire et comment le faire ».

 

Vue ainsi, la démocratie participative n’est pas dans l’action au sens « d’agir directement, immédiatement dans son milieu ».

 

Alexandre Jardin, écrivain engagé dans la vie démocratique française, appelle à bousculer cet état. Son constat : le temps des discours n’intéresse plus les gens. C’est pourquoi il œuvre à ce que la démocratie participative passe du discours à l’action. Ainsi, « ce qu’il est possible de faire, il faut le faire maintenant » en puisant dans la créativité des gens et dans les initiatives qui ont fait leurs preuves.

 

Le tout dans la joie et le plaisir.

 

Sur le plan sociologique, le discours et l’action forment un tout. Il apparaît difficile de tronquer l’un en faveur de l’autre au risque de perdre l’effet de gouvernail que permet le discours.

 

Au sujet de la joie et du plaisir. Nous avons déjà parlé de la démarche citoyenne engagée par Monsieur Jardin. Nous avions trouvé particulièrement intéressant la place centrale accordée à la valeur de bienveillance. Parler de la joie et du plaisir, et non plus de bienveillance, est un changement de registre qui n’est pas sans conséquences. La joie, bien que pouvant être partagée, demeure un état individuel. Le plaisir, un moteur d’action puissant pour la satisfaction personnelle. Au contraire, la bienveillance oblige à considérer l’autre, à ne pas perdre de vue le bien commun. À bien veiller.

 

Nonobstant, le mouvement citoyen d’envergure que suscite cet appel à l’action témoignera peut-être d’un renouveau démocratique en France. À surveiller.

 

NOUVEAUTÉ

 

Critique du Cadre de référence gouvernemental sur la participation publique

 

Lors de l’allocution de clôture de la Conférence, le nouveau Cadre de référence gouvernemental sur la participation publique a été dévoilé. L’initiative est à saluer ; la diversité des processus participatifs du gouvernement du Québec peut être source de confusion et de frustration pour les citoyens.

 

Toutefois, il est désappointant de constater que le cadre demeure fortement imprégné de technocratie, c’est-à-dire de « principes et critères » en vue de « l’efficience et de l’efficacité du gouvernement » évacuant, du coup, la raison d’être de la participation publique.

 

Ainsi, nulle part dans le cadre il est fait mention de cette raison d’être fondamentale de la participation publique, soit la confiance entre les citoyens et le gouvernement. On habille plutôt le cadre d’objectifs de gouvernance comme la transparence, l’accessibilité et l’attention portée aux besoins des citoyens.

 

Pourtant, la confiance, c’est le ciment social. C’est ce qui fait que l’on peut se fier.

 

Le cadre présente sept principes. Un principe c’est un point de départ. C’est « là où ça commence », c’est le fondement. En participation publique, les principes retenus doivent servir à fonder la pertinence et la légitimité en vue d’assurer la confiance. Un exemple de principe participatif est la collaboration, c’est-à-dire faire ensemble. Puis, des principes découlent les moyens.

 

Le cadre gouvernemental confond principes et moyens. En effet, les « principes » proposés sont des moyens et des procédures : le choix des mécanismes, la promotion, la rétroaction. Si les principes 1 et 2 portent sur l’engagement, il y a tant de conditionnel dans leur libellé qu’il en pâlisse l’intention.

 

Enfin, alors qu’on se serait attendu à ce qu’un cadre délimite clairement le terrain de la participation, des expressions comme « une quantité suffisante d’une information diversifiée et pertinente » ou « des délais et une durée raisonnables » sèment du flou tout au long du document. Prenons raisonnable. Raisonnable pour qui ? En fonction de l’impératif politique ? De la contingence administrative ? Du rythme des médias ? Des attentes citoyennes ? Les bonnes pratiques en la matière de délais raisonnables abondent, pourquoi ne pas les avoir clairement énoncées ?

 

Avec le flou, l’arbitraire ne peut qu’être au rendez-vous.

 

Ainsi, ce Cadre « qui ne se veut pas un guide mais qui guide » (sic) avec tant de laisser-à-l’appréciation, saura-t-il réellement répondre à la crise de confiance que connaît la gouverne de l’État ? Nous en doutons.

 

 

Vous pouvez revoir certaines des conférences sur le site de l’OIDP 2017

PARTAGEZ

Retour à la liste des Billets sociologiques